pétroléum Héritage
Pétroleum : Huile minérale naturelle combustible, hydrocarbure liquide accumulé dans les roches, en gisements, et utilisée comme source d’énergie après raffinage. Pétrole : l’or noir. Pétrole : vestige de l’ère des dinosaures. Pétrole : énergie et pouvoir des modernes. Pétrole : forages, plateformes, pipelines, supertankers, industries, automobiles, mondialisation, globalisation. Pétrole : extirpé des fonds sous marins, soustrait des forêts sombres et impénétrables. Pétrole : transformé en engrais, pesticides, plastiques … Pétrole : présent dans les rivières, fleuves, le long des océans alanguis. Pétrole jusque dans les glaces qui s’écoulent. Pétrole : invisible et indispensable coule jusque dans nos veines… Fait le plein, prend ta dose junky ! Explose ton moteur, avant la pane sèche, un autre monde est possible baby !
Stavanger, Pointe Noire, Douala, Pescara, Lacq … là où je suis née ça résonne de forces essentielles qui dépassent les histoires de familles et de clochers, des paysages et des visages qui m’ont attachée à la terre, à la vie. Mon enfance fut “far and wild” : là où les pulsions de vie et de mort battent si fort que l’aventure, la forêt et la neige submergent les souvenirs, là où les parents sont des héros “out of the blue, out of the confort” qui dansent entre les pipelines, à l’ombre des plateformes. Ils étaient géologues, ingénieurs, plongeurs, enseignants, infirmier, curés, médecins, artistes … tous aux marges des mondes dits modernes. Le pétrole, il a fallu aller le chercher au bout des pistes non encore tracées. Ils étaient jeunes et bronzés, ils nous entrainent, nous enfants sans TV ni Club Dorothée au devant d’yeux blancs, d’histoires de sorciers aux crabes, de fétiches et arbres surnaturels. Ils nous ont fait courir sur des plages noires, plonger dans des vagues puissantes et chaudes, ils nous ont envoyé le long de voies de chemin de fer qui s’enfoncent dans la forêt primaire, ou en glissades glaciales, douces et polaires. Nous étions des enfants blancs et ensauvagés … Ce qui m’attache encore au pétrole, ce sont mes parents et leurs rêves. Ce qui m’attache au pétrole, c’est le sentiment de liberté d’aller là où les autres ne sont pas. Ce qui m’attache au pétrole, c’est paradoxalement les forces du vivant.
Retour définitif : ce pays qui n’était pas uniformément moderne, qui n’était plus vraiment traditionnel, dont on percevait des éclats de génie et des couches sombres d’ennui, ce pays s’imposait comme une évidence, mais qui restera un permanent questionnement... Cette France sous vos yeux, depuis l’adolescence j’ai l’impression de la voir depuis l’autre extrémité du pipeline. Je vois des mètres et des mètres de linéaires remplis de yaourts, tous différents, tous pareils. Je vois des kilomètres de routes et des pavillons tous pareils, tous différents, que rien ne semble empêcher de pousser. Je vois des communautés d’entre-soi étanches, impénétrables sur les quelles tout glisse. Je vois l’abondance et la richesse, je vois l’indifférence, je vois l’absence d’ouverture et de conscience de l’autre … et je vois les pompes à essence. Pourquoi ces visions s’imposent à moi ? parce que je ne comprends toujours pas pourquoi ici on vit comme ça… et pourquoi là bas, c’est déjà l’engrenage de la corruption, coup d’état, dictature, pillages … qu’est ce qui justifie un tel décalage ? Dans la bibliothèque familiale j’avais trouvé “Affaires africaines” de Pierre Péan … les théories du développement enseignées dans les salles chauffées du lycée privé se sont affaissées : et si finalement l’histoire ne s’était pas arrêtée quand le mur de Berlin est tombé ? … Depuis l’autre bout du pipeline : Développement Durable, Altermondialisme, Écologie, Porto Alegre, Consommation Éthique, Amartya Sen … sont des idéaux, des outils de compréhension des dynamiques sociales et économiques qui ajoutent de la matière, des contrastes, des sensations à ce que je perçois ici en France : des histoires de territoires, de personnes, de postures et impostures sociales. Dans ces nœuds de relations complexes, la consommation, la voiture, la maison, sont des marqueurs. “Consommation, Voiture, Maison”… Pétrole je te vois, invisible mais essentiel à ce spectacle, à ces écrans de fumées, à cette irréalité appelée alors globalisation, bientôt Internet, 2.0 et métavers.
J’ai 22 ans, je n’ai pas de voiture, je déteste conduire. Je m’imagine dans le train pour Gêne, et dans “là bas si j’y suis” j’apprends que Carlo Giuliani a été assassiné par la police lors d’une manifestation anti-capitaliste. Quelques semaines plus tard, les tours du WTC s’écroulent à NYC. J’ai 22 ans. Ma vision du monde n’a plus de place. J’essaye de m’échapper des marchés, des emprises du management … je crois que j’ai saboté la fin de mes études, mes premiers boulots salariés. Je n’ai pas fait exprès, mais depuis l’autre bout du pipeline, le pouvoir d’achat, la piscine, le barbecue … c’est un peu fade. Désolée : enfant “d’expat”, je suis tellement snob… Cependant, je vois bien que celles qui sont nommées “ménagères de moins de 50 ans” dans les .ptt, “madames michues” dans les agences de com. , sont des héroïnes du quotidien, qui font l’impossible pour tenir leur rôle. Je fais tout mon possible pour qu’au moins les images, les packagings qu’on leurs renvoie soient beaux … mais je ne peux pas m’empêcher de voir la laideur, l’incongruité, l’hypocrisie des centres commerciaux, rond points et lotissements qui recouvrent les champs et les petites routes de vos enfances. Depuis l’autre bout du pipeline, c’est pas facile de m’attacher à ce qui manque de tant de matérialité. Depuis l’autre bout du pipeline, c’est pas difficile de voir combien le mode de vie, permis par le pétrole, détruit ce qui devrait être sacré. Bien des années après, dans “Héritage et fermeture: une écologie du démantèlement, de Diego Landivar, Emmanuel Bonnet, Alexandre Monnin”, je comprends que ce que je vois dans l’enchaînement “consommation, voiture, maison” ce sont des ruines et des zombies. J’ai les pieds sur terre, je vois les liens qui maintiennent mes contemporains hors sol … Sans voiture, sans trampoline, sans barbecue … je tente de me glisser dans des interstices “out of the blue, out of the confort” … mais les dégâts de l’extraction et l’exploitation pétrolière réduisent de jour en jour ces possibles.
Oui … le pétrole dont j’ai hérité, me donne les moyens de me la péter … peut être un peu plus que toi … mais toi aussi, même si tu ne le sais pas, tu flottes au-dessus de Gaïa, propulsé par ce que tu tires d’une pompe, dont seul le prix te pèse … drogué à l’insu de ton plein gré … Le pétrole dont nous avons hérité, nous qui sommes français, nous fait vivre, inégalement, dans un confort qui nous asphyxie et qui n’est pas du tout soutenable : il n’y a plus de pétrole. A l’autre bout des pipelines, ce ne sont plus que des champs de guerres et de ruines. Il n’y a plus rien… sauf la paix et la vie à laisser reprendre tant bien que mal. Ce que j’abandonne avec le pétrole, c’est l’ivresse de la création et la production, pour me concentrer sur l’attention. J’aimerais offrir un imaginaire assez puissant, pour faire décrocher ce mode de vie qui nous asphyxie. Ce que je voudrais donner pour demain c’est le goût de la liberté : sentir le poids de la terre sous les pieds, le vent se faufiler sur la peau, la profondeur d’un regard qu’aucun écran ne coupe, l’immense frémissement d’un bourgeon … comprendre l’intelligence ultime d’un biotope et son écosystème … penser que les humains sont des vivants parmi d’autres … croire en des mondes qui nous dépassent. Ce que je livre aujourd’hui pour demain, ce sont des matrices, des schémas de compréhension du monde et des organisations, pragmatiques, terre à terre, désintoxiqués de la puissance du pétrole, efficientes et prospères. Ce que j’active aujourd’hui pour demain, ce sont les énergies enfouies dans nos personnalités, nos intelligences, nos corps. De l’héritage pétrole, je partage l’idée que nous sommes #Libres parce que nous appartenons à un commun bien plus grand. Crack the wild : Vivants c’est sexy. Nous sommes de #feu !