Mar 6
Mai 2037, sur les chemins entre le quartier des Villards les Arcs 1800 et Les Charmettes
Vivre l’Avenir | Manger
Jeanne, 21 ans se hâte sur le chemin qui serpente entre les mélèzes puis les hêtres. Les alpages ont regagné sur les forêts, comme avant? et comme jamais ? … les découpages des espaces, des champs, des propriétés ont été pensés lors des grandes négociations du partage de l’eau. Ici l’idée a été de préserver la robustesse de la biodiversité des zones en libre évolution. Ce matin là, il fait bon : les vieux diraient « bien trop chaud », et Jeanne et la jeunesse répondent « eh ben … c’est qu’il n’y a plus de saisons ma bonne dame !». Non il n’y plus de saisons : les variations extrêmes de températures, les vents terribles, les précipitations chaotiques ... Après les derniers immeubles de la résidence de l’Aiguille Grive, sur la route de la route des Espagnols, les pentes sont encore dans l’ombre, tous les vivants semblent se réjouir de ce supplément de fraicheur. Le chant des oiseaux, l‘humidité des herbes, la sérénité des mélèzes … Ce matin Jeanne a l’impression d’être encore cette fillette que ses parents emmènent camper lors des vacances d’été. Ce matin Jeanne se rend sur le site de travaux pratiques du premier cycle d’étude post-bac Agriculture de l’Anthropocène de l’Agro BSM les Arcs : ça se passe là où se passaient les vacances, mais ce ne sont plus les vacances !
Les études de Jeanne s’appuient sur 2 fondamentaux : observer scientifiquement la résilience du vivant sauvage et étudier les techniques les plus efficientes de cultures domestiques. La mairie de Bourg Saint Maurice s’est battue pour obtenir l’établissement de ce pôle universitaire, en faisant valoir = 1. l’opportunité climatique particulière de la commune : les dénivelés, les versants ombragés tous équipés de moyens de transport déjà électrifiés, l’eau et son énergie, le solaire et l’éolien en supplément ; 2. la ligne ferroviaire, qui a été largement entretenue pendant les dernières heures de gloire du ski ; 3. le bâtiment du Club Med les Arcs 1600 laissé à l’abandon depuis la faillite du groupe en 2030. Dans un contexte de non artificialisation des sols au niveau national, c’était aussi un argument de poids ! Avant même inauguration d’Agro BSM les Arcs, les maraichers, les néo-ruraux de la vallée de l’Arc, les petits et gros éleveurs ont commencé à se coordonner et ont participé aux activement aux négociations de la PAC 2035 … Cette mobilisation agricole a été un soulagement pour les habitants de la commune : des légumes frais et des légumineuses en plus grande quantité et de qualité. Rapidement des ateliers de transformation et de conserves ont dû être créés à Bourg Saint Maurice. Les fruits et légumes ne pouvaient plus être stockés en chambres froides et les voies de chemin de fer ont vite été saturées, il n’était plus possible de faire des livraisons juste à temps dans les usines agroalimentaires de la vallée du Rhône. La vallée du Rhône … c’est tellement dingue ce qui se passe là-bas, beaucoup d’habitants sont venus se réfugier ici, au plus près de l’eau.
Jeanne déboule dans la “ferme” des Charmettes. Elle renverse son chariot dans le compost, enfile ses bottes … et dans la serre elle prépare les semis. Le soleil est haut, elle analyse les datas météo, eau, sols pour affiner les statistiques et probabilités … L’air change, l’après midi s’installe, il va falloir prévoir le retour du froid dans moins d’une semaine … Vers 17 heures elle s’élance en skate sur le reste de goudron jusque à la ligne de tramway BSM-Landry-Nancroix-Peisey-Vallandry-Les Arcs 1800. Elle glisse à toute vitesse, la lumière de fin d’après-midi est douce, ses cheveux volent follement, elle a les mains et les joues couvertes de terre.
Dans le tramway, Jeanne retrouve Nafoua :) Elles étaient à l’école primaire ensemble, dans ce quartier populaire de Paris. Cette année Nafoua est en résidence Patagonia à la Cascade. Elle travaille sur des tissages à partir de fibres naturelles et plastiques recyclées, selon un héritage « multi somewhere ». Ce soir, c’est elle qui anime la Party salle Taillefer ! Dans le Sound system : les guitares du Mali pour embraser les corps de la Tarentaise !
Aujourd’hui dans nos attachements à Bourg Saint Maurice les Arcs, il y a un avenir possible pour nos enfants, une histoire que l’on aimerait se raconter au futur. Noël 2022, gadoue au pied des immeubles et sensations de glace sur les pistes ! Et pourtant, nous étions encore là, heureux dans le ventre des Belles Challes. Quarantenaires qui conversent de l’ampleur de ce qui est en train de changer : de la difficulté d’être végétariens ici aux Arcs, à la question d’un futur voyage en Birmanie … du prix du confort de la modernité, aux prix des renoncements pour parvenir à se reconnecter avec sa nature, à la nature, à atterrir dans les dynamiques du vivant : réussite professionnelle, reconnaissance sociale, confiance dans la science et le progrès. Il est minuit, comme nos voisins, nous sommes tous sur le balcon, les plus jeunes dans les bras de leurs parents : le feu d’artifice éclate, notre joie éclate, nous sommes encore si heureux ici aux Arcs.
