Long long Journey to Love, 2024
Entrer dans le voyage vers les paysages, les visages, les vivants … le monde qui arrive … pour conserver l’essentiel : l’Amour.
Je ne me souviens jamais depuis combien de temps je suis amoureuse, je suis en ménage, je suis mariée… Depuis combien de temps j’ai ouvert Cloud Spotting… Depuis combien de temps je me demande ce que cela signifie normal… Depuis combien de temps j’essaye de réduire l’écart entre ce que je perçois, apprends, comprends du monde … et les conventions qui fondent les interactions des uns et des autres… Depuis combien de temps c’était les confinements du COVID… Les jours, les semaines, les mois, les années filent… je n’ai pas compté le temps qui s’écoule, mais je me souviens de nos échanges, de nos non promesses, de notre énergie à cracker le monde, de notre engagement à Aimer mieux.
Depuis que je partage ma vie avec toi, nous sommes descendus des avions pour grimper dans des trains aux destinations qui sonnent comme des actes de résistance. Limoges Bénédictins, Toulouse Matabiau, gare de Millau, Gare Frankfurt am Main — Hauptbahnhof … Le temps dans le train s’étire au rythme lancinant des larges fenêtres ouvertes sur des paysages offerts sans pudeurs … Nous partons, sans savoir ce qu’il y aura après… Nous partons, avec comme seul point de repère, un point de départ dans un interstice du monde. Château Rouge, ni complétement Paris, ni complètement métropole anonyme, ni complétement assujetti au temps des algorithme, c’est déjà un quelque part qui nous attend. Nous sommes partis, nous avons grandi ensemble, nous vieillissons pour le meilleur et le pire. Est ce que les bercements des trains nous ont consolé des petits tracas du quotidien ? des grandes peines de la vie ? des nuits sans sommeil ? des blessures qui ratatinent le coeur ? Est ce que les bercements des trains nous ont appris à mieux nous aimer, aimer nos enfants, aimer le monde malgré nos bagages et cicatrices qui ne restent pas à quai ?
Depuis que j’ai ouvert Cloud Spotting, j’ai gagné le temps. Le temps de prendre le train pour aller voir, entendre, toucher, sentir, goûter comment ça sera là bas. Le temps de lire, le temps de réfléchir, le temps d’écouter sur plusieurs mois et années. Le temps de me planter. Le temps de bifurquer. Le temps de descendre du globe pour marcher dans le monde avec le monde. Le temps de comprendre que ce que je sais faire, sert aussi le monde qui bât autour de moi et qui a tant d’autres batailles à gagner pour ne pas se faire rattraper par le vide et l’indifférence. Le temps de travailler avec et pour ce que j’aime profondément, c’est pas une garantie de business pour demain, mais c’est une certitude d’aller dans le bon sens aujourd’hui.
Depuis que j’ai lu que les neuro-typiques ne se distinguaient que par un câblage parmi d’autres, j’ose regarder les autres dans les yeux. Normal n’est qu’une posture, une stratégie pour exister… sans avoir à ouvrir ses sens, son cœur et son intelligence à la diversité, à la complexité, à la beauté. Normal Core est un positionnement, et peut être l’expression d’une trop grande fragilité. Oui ! J’aime aussi celles et ceux qui préfèrent ne pas monter dans un train à la destination floue ! (à condition qu’ils ne mordent pas)
Depuis l’enfance je joue au jeu des différences et du memory. Privilège d’enfant d’expat. Tout est exotique, tout est objet d’interrogation, d’imagination. Passer d’une frontière à l’autre, passer d’une croyance du monde à la l’autre et s’émerveiller des stratagèmes humains à rendre le monde plus à leur mesure. J’aime le monde avec ses humains dedans.
Covid, confinement … les trains sont restés à quai. Les rêves isolés ont prospéré : le monde de demain. Les réalistes nous ont rappelé que rien ni personne n’était voué à changer. Et puis, un jour c’était fini. Tout le monde a appuyé sur “ON” en même temps. Dans une ivresse collective le temps a été annulé. Les rires gras et le bling bling ont mal prévenu de l’effondrement de ce qui était un peu bien : la paix comme idéal, la richesse partagée, les saisons qui se succèdent, la démocratie et l’état de doit. 2023. Tout le monde descend avec la gueule de bois du TGV nommé modernité futuriste … il y a un monde vivant à rattraper.
De votre point de départ, le train du vivant passera, à l’occasion d’une rencontre, d’une promenade en forêt, d’une œuvre oubliée, d’une course vers votre somment. Montez dans le train du vivant sans oublier dans vos bagages vos sens, votre intelligence et votre reconnaissance pour ce qui est beau. Asseyez vous dans un compartiment, n’oubliez pas de saluer vos compagnons de voyage… Vous ne les avez pas choisi, c’est la vie, et c’est le début de la convivialité. Regardez par la fenêtre le séquençage des paysages et des paysages. Prenez le temps de tisser des itinéraires vers ce qui nous attache essentiellement : ces sentiments archaïques qui nous incluent parmi les vivants. Aiguillages hasardeux, correspondances ratées en rase campagne, pannes de matériel, hôtels un peu miteux, train de nuit qui traversent les frontières, train de fret sans fin, terminus en métropoles étrangères… être vivant, se sentir vivant ne peut être une voie de garage, ni une voie à sens unique, ni une succession de privilèges, c’est le voyage. Nous sommes sur le voyage et le verbe qui nous anime est Amour.
