Fin de ce fameux jour de Mai 2037, dans le TGV vers Bourg Saint Maurice
Vivre l’Avenir | Vieillir
Léonard, 58 ans arrive de Paris par le TGV. Il espère retrouver son fils Marcus vers le refuge du Turia dans la journée de demain, il a besoin de se dégourdir les jambes. Finalement Marthe et lui sont restés à Paris toutes ces années. Même après la première alerte du COVID, en 2020. Ils avaient des attaches affectives et amicales dans ce cœur de ce quartier pauvre mais cosmopolite. Ils sont restés parce qu’ils voulaient être acteurs des changements nécessaires pour dépasser la transition entre ère de la modernité et ère de l’Anthropocène, parce qu’ils voulaient tout essayer pour leurs enfants, parce qu’un peu naïvement ils ne voulaient pas fuir … Et puis, il y a eu de nouvelles opportunités qui ont délié les impulsions créatives. Des maisons de luxe avaient anticipé les questions de la valeur et cultivé leurs savoir-faire patrimoniaux. Elles ont su encore changer pour rester. Aujourd’hui Léonard et Marthe puisent dans leurs aller-retour entre Paris et Bourg Saint Maurice les Arcs, leurs postures « d’agents doubles » : tenter de comprendre et de traduire ce qui se vit ici et là. Ils participent à la constitution des codes esthétiques architecturaux et design de l’anthropocène : une esthétique de réseaux, d’équilibre vivant, de formes complexes et archétypales tirées de ce sauvage reconsidéré.
Léonard doit organiser le séjour de ses parents en Juin Juillet Aout. Ils ne supportent plus la chaleur à Paris et leur maison à l’ile de ré est sous l’eau. Ici dans les copropriétés, les habitants même secondaires se sont organisés, ont discuté, se sont disputés, ont fait face : ils se sont organisés. Dans presque tous les immeubles ont été aménagées des salles communes, équipées de machines à laver, buanderie, de salles de jeux et salons, d’espaces de stockage communs (luges, barbecues, pelles, outils, établit de bricolage …) alimentées par de l’électricité produite par des panneaux solaires et chauffées grâce au bois ramassé autour de l’immeuble. Ils se sont bagarrés pour que ces bois restent des communs, à l’usufruit des habitants. Cette gestion commune, sur le temps long a permis la préservation des forêts et des espaces aux pieds des immeubles. C’est en passant du temps ensemble à partager les grands et petits moments de la vie, que Léonard avec les autres propriétaires ont su imaginer des mécaniques fines de financement des travaux de rénovation, de redistribution et de partage des appartements mis en vente ou abandonnés. Ça reste compliqué, sujets à discussions … mais au moins leur immeuble n’est pas tombé en faillite, ni en ruine … et les lits sont bien chauds !
Aux Arcs le centre médial a été maintenu ainsi que l’école. Une poste pour la gestion des colis, un atelier municipal pour les réparations en tout genre, le marché 2 à 3 fois par semaine dans la salle Taillefer ont été installés… Les commerçants et restaurateurs sont revenus, même l’hôtel du Golf a ré-ouvert … et cet été 2037 1ère saison du Re-Festival de Musique aux Arcs ! c’est pas comme avant, mais c’est pal mal 😊
Marthe était là pour le week-end de Pâques, collée serrée contre ses enfants, comme quand ils étaient petits pendant le COVID. Il y a eu une célébration religieuse dans la Coupole des Arcs. Et puis les participants se sont rendus au-dessus du ruisseau de l’Église entre les Arcs 1600 et 1800. Habitants de toujours de Bourg Saint Maurice et habitants intermittents des Arcs ont inauguré ensemble un jardin des souvenirs. Ces dernières années ont été d’une nostalgie furieuse et destructrice.
De temps en temps Marthe retourne dans les Pyrénées, le Béarn, là-bas les choses semblent immuables. Ici, moins emmêlée dans ses souvenirs intimes, elle a l’impression de vivre dans un laboratoire de « néo-urbanité ». Marthe passera le mois de Juin ici, pour organiser et animer un workshop avec les administrateurs des stations balnéaires des Landes. La montée des eaux a été mal anticipée et le fait que les communs aient été gâchés (exploitation chaotique des forêts l’artificialisation des sols, les ruines du sur-tourisme) … entrave l’émergence de possibles. Pour la survie des organisations humaines, ce n’est pas si facile de sortir de la logique des marchés afin de s’appuyer sur une logique scientifique de répartition, redistribution et partage de communs !
Aujourd’hui dans nos attachements à Bourg Saint Maurice les Arcs, il y a un avenir possible pour nos enfants, une histoire que l’on aimerait se raconter au futur. Noël 2022, gadoue au pied des immeubles et sensations de glace sur les pistes ! Et pourtant, nous étions encore là, heureux dans le ventre des Belles Challes. Quarantenaires qui conversent de l’ampleur de ce qui est en train de changer : de la difficulté d’être végétariens ici aux Arcs, à la question d’un futur voyage en Birmanie … du prix du confort de la modernité, aux prix des renoncements pour parvenir à se reconnecter avec sa nature, à la nature, à atterrir dans les dynamiques du vivant : réussite professionnelle, reconnaissance sociale, confiance dans la science et le progrès. Il est minuit, comme nos voisins, nous sommes tous sur le balcon, les plus jeunes dans les bras de leurs parents : le feu d’artifice éclate, notre joie éclate, nous sommes encore si heureux ici aux Arcs.
