d’un bout à l’autre du pipeline, pétroléum paradises
Il y a les “anywhere” et il y a les “somewhere” dit David Goodhart, est que l’on peut se sentir viscéralement attaché au “nowhere” dans lequel on a grandi ? enfant d’expat. avant skype, enfant des départs définitifs tous les 2 ou 3 ans, enfant de Roissy T1 et d’UTA comme marqueurs des grandes vacances en France, enfant des Lofoten, plage du Golf de Guinée ou des palais Romains, enfant des pétroléum paradises.
“Fond Tié Tié, Fond Tié Tié”, les années 80’s perdus dans la brousse, perdus dans les rêves d’aventures des géologues, des ethnologues, des missionnaires, des marins, des ingénieurs qui font pousser les plateformes.“Fond Tié Tié, Fond Tié Tié”, presque 40 ans sont passés, il y a encore Denis Sassou Nguesso, des polémiques autour de la Nivaquine, des barils de brut, des forêts et des fétiches. “Fond Tié Tié, Fond Tié Tié”, rient mes enfants en évoquant les dernières vacances d’insouciances avec les cousins. “Fond Tié Tié, Fond Tié Tié”, depuis la fenêtre de Château Rouge, je prends des nouvelles du confinement à Pointe Noire…
Pointe Noire, Congo // Paris, France, un de ces miroirs impossible. Beaucoup ne voient pas assez loin, pour percevoir leur reflet dans ce miroir, quand ils font le plein de leur bagnole. Certains ferment fort les yeux, au point de briser ce miroir, de faire comme si l’autre face de Paris, de la France n’existait pas, quand ils crachent sur les migrants. D’autres crachent leur haine sur le reflet Noir, sans se rendre compte qu’ils crachent sur leur âme. Pointe Noire, Congo // Paris, France, un de ces miroirs impossible qui oblige à se réfléchir, à se questionner de l’exotisme à l’égoïsme. Pointe Noire, Congo // Paris, France, un de ces miroirs impossible qui donne à voir un peu plus sincèrement tout ce qui est bien et qui a déjà été si bien écrit : la négritude, le monde outre noir, au delà du contraste. Tenter de mieux voir tout au long du voyage de Château Rouge à Pointe Noire, de l’extraction à l’exploitation pétrolière, de l’un à l’autre et l’autre à l’un.
Dans les lumières de Pointe Noire d’Alain Mabanckou, dans les photographies de Robert Nzaou, la culture de l’élégance. Le cool, c’est ce qui se cultive mais qui s’évanouit dès qu’on l’exploite. Le cool, c’est cette élégance que l’engourdissement dans le bien être, la sécurité et le confort et le plastique ne permet pas. Sur les plages de Djeno, pas très loin de Pointe Noire … le paradis : la case et personne d’autre, les palmiers, l’océan, les vagues, les pirogues, les plateformes … comme il y a 40 ans … sauf le plastique. Tout est brut, sauvage, puissant, essentiel … sauf le plastique. Le plastique revient de l’autre bout du pipeline. De ces paysages est extrait de l’or noir. De notre modernité du confort et du superflu plastique, on asphyxie même le paradis.
L’or noir, cette matière dite première dont on “trade” barils et tankers d’un bout à l’autre de la planète. L’or noir dont le prix à la hausse génère le malheur des uns et à la baisse le malheur des autres. L’or noir que l’on ne saurait voir en galette sur nos plages, mais que l’on respire à plein nez tout au long de l’année. L’or noir essentiel à notre modernité(médicaments, nourritures, vêtements, matériaux, objets, jouets, livres, ordinateurs, téléphones, airs, terres, eaux, déplacements), mais qui n’est exploité que depuis un siècle. L’or noir, que l’on a épuisé pour fabriquer tes emballages individuels de madeleines industrielles, est composé de la biomasse des forêts de l’ère des dinosaures … environ 50 millions d’années cramées en 100 ans !
L’or noir a généré des richesses, des pouvoirs, des guerres … puis il est devenu un asset d’un “anywhere”. Alain Deneault a écrit De quoi Total est-elle la somme ? la firme, par un entrelacs de sociétés, est devenue « une autorité souveraine, capable de rivaliser avec des Etats et de générer un nouveau rapport à la loi ». Dans cet “anywhere” qui n’est plus or, ni noir, ni humain, ni naturel, pour que tu puisses aller chercher ton pain en SUV au bout de la rue … “somewhere” dans les pays des Kongos, on a entretenu des guerres civiles, on a vidé de son sang les forêts de demain.
L’ “anywhere” déroule son rouleau compresseur sur le pétrole, le terre, le bois, les humains, tout en déversant ses tissus et gabegies trop criardes pour être honnêtes. L’ “anywhere” en 2020 a été trop loin … L’ “anywhere” comme un crocodile à bout de souffle, reste fort violent, sa gueule déborde du brut, mais combien reste t’il de brut dans le ventre de la terre ? Sans voir plus loin que le tiers de seconde qui vient, l’ “anywhere” déroule son rouleau compresseur…
Sous cette couverture, le marché de Pointe Noire, les passerelles, les légumes bio, les tisanes et les savons, les vanniers, les potiers, les couturiers, les mécanos. Sous cette couverture, les vestiges du Chemin de Fer Congo Océan fondent dans l’indifférence, alors que les nouveaux puissants sont regardés avec défiance / violence malgré leur puissance commerciale et leur propagande. Sous cette couverture, le père Abel finance l’orphelinat Inzo Ya Bana, en tirant le meilleur des pratiques du marketing et communication. Sous cette couverture, les écoles, les université maintiennent une connaissance des dieux, des fétiches, des croyances, des mythes, des histoires ancestrales. Sous cette couverture, la langue française vit, s’épanouit et se déroule en chansons et littératures. Sous cette couverture, tous ici parlent deux à trois langues couramment. Sous cette couverture, les populations se tournent vers les richesses de leurs paysages précieux : le lac aux Papyrus, les gorges de Diosso ou les rapides de Les Saras dans la forêt du Mayombe... Sous cette couverture, les grands singes de Jane Goodall ont encore quelques habitats. Sous cette couverture, les réserves naturelles sont gardées par les orpailleurs d’un paradis perdus dans les vapeurs de l’alcool de palme. Sous cette couverture, la forêt inquiétante, violente et effrayante est vitale. Sous cette couverture, est ce que les plus jeunes verront dans ces troncs majestueux leur avenir? Sous cette couverture, je ne vois pas clair, tant j’aimerais que tout aille mieux.
D’un bout à l’autre du pipeline, entre Pointe Noire et Château Rouge, de l’ouverture des vannes il y a 40 ans à leur fermeture demain … je cherche de nouveaux paradis pour les enfants. Explorer un système de pensée organique et un espace où la nature impose son principe. Renouer avec un beau léger, un stupéfiant rugueux comme une écorce, pour graver dans notre inconscient ce code d’imperfections, d’incertitudes et de liberté … contrôlé par la croyance partagée en une nature qui nous intègre et nous dépasse. Je cherche … et j’aimerais tellement en parler avec toi … “kembo kembo kembo”